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Tribune libre N°20160101 du 20 janvier 2016
Sylvain NDOUTINGAÏ : Vers une nouvelle transition en Centrafrique

Dans le cadre des diffilcultés rencontrés par le Gouvernement de Transition Centrafricain dans l'organisation d'élections présidentielles depuis janvier 2014, M. Sylvain NDOUTINGAÏ, Conseiller en Stratégie et ancien Ministre d'Etat, nous expose son analyse de la situation actuelle de son pays ainsi que ses solutions pour assurer une nouvelle transition politique en Centrafrique.

Question : Vous dites que le bilan de l’action du gouvernement est consternant, je vous cite : "Que faire face à ce constat unanime de l'échec du Conseil National de Transition et de l'actuel Gouvernement de Transition, dirigé par Catherine Samba-Panza, à conduire ce pays depuis janvier 2014 vers une sortie de la crise qui le ruine ?"

Réponse M. Sylvain NDOUTINGAÏ :

Le pays s’enlise dans l’insécurité et le non-droit; les membres eux-mêmes du gouvernement sont consignés dans leurs résidences pour des raisons de sécurité.
L’objectif de désarmenent des groupes communautaires n’est pas atteint.
Sur une population estimée entre 3,9 millions d’habitants (2003) et 4,7 millions (2013), les organisations humanitaires dénombrent plus de 1,5 million de "déplacés interne" et plus de 900 000 réfugiés dans les pays voisins.
Ni l’opération SANGARIS (conduite par l’Armée Française de 2013 à 2015), ni la MINUSCA (créée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies en 2014), ni l’EUROFOR-RCA (opération militaire dirigée par l’Union Européenne en 2014), n’ont su protéger les populations civiles ou favoriser la transition. Les soldats étrangers n’ont pas reçu l’appui de la population pour mener les actions en vue du rétablissement de la paix.

Question : La politique actuelle est-elle dans l’impasse ?

Réponse M. Sylvain NDOUTINGAÏ :

Les élections présidentielles de 2015, décidées par l’Agence Nationale des Elections en 2013, plusieurs fois reportées, n’ont pas été suffisamment préparées, l’Administration de l’Etat étant absente de plus de 70% du territoire. Les dossiers d’Etat Civil ont été détruits par la rébellion Seleka, et il a été impossible de les reconstituer impartialement en si peu de temps, même si des fonds importants ont été mobilisés à l’étranger. Les candidats n’ayant pu faire campagne valablement, dans un contexte de violences, le résultat de ces élections, quel qu’il soit, ne peut être que contestable et ne pourra qu’aggraver la crise.
Le Forum organisé en mai 2015 pour créer les conditions d’un retour à l’ordre est un échec parce que des acteurs majeurs de la crise en ont été écartés. Il est perçu par la population comme une importation de l’étranger par un gouvernement illégitime. Il a endurci les replis identitaires en empêchant les centrafricains de se parler entre eux.
Les candidats sont coupés de leurs bases sociales, politiques et / ou militaires. Certains d’entre eux sont des chefs de groupes armés qui ont conservé leur arsenal de guerre. Ils sont vus par la population comme des bourreaux revenant sur les lieux de leurs crimes.
L’essentiel de la promotion électorale est fait auprès des gouvernements de pays étrangers plutôt qu’en direction de la population centrafricaine. Il serait grave de penser qu’en l’état des forces en présence un Président de la RCA puisse être installé depuis des capitales étrangères lors d’une élection bâclée.

Question :  Pour sortir immediatement de la crise, quelles sont les premières désisions que vous allez prendre si vous êtes retenu pour l'établissement d’une feuille de route pour cette nouvelle transition ?

Réponse M. Sylvain NDOUTINGAÏ :

  • Sécurisation du territoire par des Forces de Défense et de Sécurité (F.D.S.) nationales , où les ex-seleka auront une place et un rôle dans le commandement. La formation des FDS sera assurée dans le cadre d’une coopération militaire avec différents pays et par des prestataires privés avec un financement international. Le rétablissement de la discipline à tous niveaux au sein des FDS se fera par le choix d’hommes capables d’exercer un commandement militaire.
     
  • Mise en place d’un programme d’aide au retour des réfugiés.
     
  • Réinstallation de l’Administration pour assurer les services de première nécessité : électricité, eau potable, santé, système éducatif.
     
  • Mise en place d’un processus politique inclusif. Son articulation avec la Justice prendra modèle sur l’Afrique du Sud et le Rwanda, où l’identification des responsabilités et la reconnaissance nécessaire des victimes est découplée de la reconstruction politique.
     
  • Elaboration d’une nouvelle Constitution, incluant des dispositions relatives à un recensement électoral, à l’organisation d’élections à l’issue du processus de transition, et à une nouvelle organisation territoriale articulant un pouvoir central avec plusieurs administrations régionales.

 

Nous remercions M. Sylvain NDOUTINGAÏ d'avoir répondu à nos questions.
Nous saluons son attachement aux chefs coutumiers de son pays et sa volonté de rassembler autour de lui tous les acteurs centrafricains de bonne volonté dans le but de reconstruire et d'offrir une nouvelle transition politique viable et durable pour la Centrafrique. Souhaitons-lui bonne chance dans cette entreprise pleine d'espoir.

Propos recueillis par M. Abdelhake SIYA YOUSSEF le 28 Novembre 2015.